Réfugié, un mot qui réveille des souvenirs

Face à la détresse des réfugiés, l’Allemagne a réagi par une vague de solidarité impressionnante. Mais les forces de « l’Allemagne sombre » ne désarment pas, malgré la mise au point de la chancelière Merkel. Les réfugiés, c’est en tous cas un thème sensible qui accompagne l’histoire des familles allemandes…

Des réfugiés essayent d'obtenir de la nourriture/ Berlin/Photo EC/septembre 2015

Des réfugiés essayent d’obtenir de la nourriture/ Berlin/Photo EC/septembre 2015

On l’ignore généralement en France, – ou on l’a oublié -, mais l’Allemagne de l’après-guerre n’était plus qu’un champ de ruines : la capitale Berlin, mais aussi des villes millénaires comme Cologne, Hambourg ou Dresde étaient réduites en cendres. Je n’ai pas connu cette époque mais j’ai entendu à plusieurs reprises l’écrivain allemand Heinrich Böll évoquer l’après guerre dans les ruines de sa ville natale Cologne. Ces quelques vers tirés de son poème « Versunken die Stadt » (engloutie la ville) et que je traduis librement, en témoignent , comme d’ailleurs l’ensemble de ce que l’on a appelé la « Trümmerliteratur » la littérature des ruines : « poussière, poudre de la destruction, elle s’infiltrait à travers tous les interstices, sur le pain et sur la soupe, sur les manuscrits des livres et sur les couches (…) »

La survie des réfugiés

Des millions de réfugiés – ceux qui étaient partis sous les bombardements américains ou ceux qui fuyaient l’avancée de l’Armée rouge – erraient à travers le pays. Dans l’édito du quotidien Berliner Morgenpost du 7 septembre, la journaliste Julia Emmerich constate :  » De nombreux Allemands ont eux-mêmes été réfugiés ou sont nés dans des familles dans lesquelles la fuite et l’exode font partie de l’histoire personnelle. » Comme celle de notre ami Jörg B. Son père hobereau en Lusace- une région du nord-est de l’Allemagne, aux confins de la Pologne, et donc sous occupation soviétique, se voit chassé de son emploi.  Il est considéré comme « ennemi de classe ». C’est le beau temps de la période stalinienne. Privé de ressources, discriminé et sans avenir, il doit se résigner à fuir vers l’ouest. Les débuts dans la nouvelle vie seront difficiles : camp de réfugiés à Hambourg, puis une pièce de 20metres carrés dans un bunker à Düsseldorf. Il faudra plusieurs années pour que la famille se voit enfin attribuer une maison, dans une petite ville au nord de Cologne.

En 1950 on comptait quelques 12 millions de réfugiés allemands venus de l’est (derrière la fameuse ligne Oder Neisse, de Tchécoslovaquie, de Hongrie, de Roumanie etc…) sur le territoire de l’actuelle Allemagne. Dans son éditorial du 7 septembre, Julia Emmerich, journaliste au Berliner Morgenpost, constate : « Les souvenirs de ceux qui ont dû fuir le régime nazi ou qui à la fin de la seconde guerre mondiale sont arrivés à l’ouest en provenance des territoires perdus à l’est, n’ont rien perdu de leur force 70 ans plus tard. » Un exode de masse dont les images figurent dans tous les livres d’histoire. Alors, bien sur, le mot « Flüchtling », réfugié, résonne d’une manière douloureuse en Allemagne. Et les images de la Syrie et de ses villes dévastées renvoient à ces souvenirs…

Une autre vague de réfugiés

Curieux retournement de l’histoire, à l’été 1989 des dizaines de milliers de réfugiés allemands sont massés dans des campements à la frontière hongroise pour rejoindre l’Autriche. Et c’est cette même Hongrie, aujourd’hui si hostile aux réfugiés, qui sera la première à ouvrir le rideau de fer, très exactement le 11 septembre 1989. Trois semaines plus tard, cette frontière est définitivement ouverte. Ils seront plus de 100 000 à la passer. Une pression qui ne s’est jamais relâchée depuis la construction du Mur. Au total entre 1961 et 1989 on recense plus de 1,25 millions de réfugiés en provenance de la RDA qui se sont installés en Allemagne de l’ouest. Et les réfugiés d’aujourd’hui passent par les mêmes camps de transit comme le celui de Friedland. C’est ce que montre un intéressant documentaire réalisé – en anglais – par la Deutsche Welle et la télévision NDR, intitulé « Transitcamp Friedland ».

Des réfugiés à Berlin Moabit attendent de connaitre leur nouvelle destination/Elisabeth Cadot/septembre 2015

Des réfugiés à Berlin Moabit attendent de connaitre leur nouvelle destination/Elisabeth Cadot/septembre 2015

Alors beaucoup d’Allemands affichent de l’empathie pour les réfugiés. Un sentiment pourtant assez mitigé. Lors d’une manifestation xénophobe Pegida à laquelle j’avais assisté à Bonn, une femme d’une quarantaine d’année, portant un manteau à col de fourrure expliquait bruyamment à un journaliste «  je n’ai rien contre les réfugiés qui fuient la guerre, on a connu ça mais dès que c’est terminé, dehors » déclarait-elle dans l’approbation générale.

D’après un sondage de la chaîne de télévision publique allemande ARD 88% des Allemands sont prêts – ou l’ont déjà fait – à aider les réfugiés sous forme de don et 67% sous forme d’engagement volontaire. Mais les Allemands de l’est manifestent plus de crainte face à l’afflux actuel de réfugiés (46%) que les Allemands de l’ouest (36%).

La Prusse a bénéficié des réfugiés

Régulièrement des foyers de demandeurs d’asile sont incendiés. Principalement à l’est de l’Allemagne, là d’où pourtant sont partis tant de réfugiés. Et il n’est pas certain du tout que la condamnation ferme de la chancelière Merkel et celle du président Gauck évoquant « l’Allemagne sombre » calmeront les militants violents de l’extrême-droite. Pourtant les exemples précédents montrent bien que l’afflux de réfugiés, loin d’avoir nui à l’Allemagne, a au contraire contribué jusqu’à aujourd’hui à son formidable développement économique et culturel. A condition de permettre aux nouveaux arrivants d’entrer sur le marché du travail. Ce n’est pas nouveau.

Les Huguenots sont accueillis par le Grand Duc de Prusse/Photo Elisabeth Cadot/07.09.2015

Les Huguenots sont accueillis par le Grand Duc de Prusse/Photo Elisabeth Cadot/07.09.2015

Le développement de la Prusse est dû en grande partie à des réfugiés, arrivés eux aussi sur des carrioles, après un voyage épuisant : les Huguenots chassés de France par l’intolérance de Louis XIV et accueillis à bras ouvert par le Grand Duc de Brandenbourg, dont l’héritier sera le fameux Roi de Prusse, Frédéric le Grand. Il avait bien compris l’apport de ces réfugiés industrieux pour son pays. Il faudrait peut-être le rappeler ou l’apprendre aux néo-nazis qui brûlent les foyers de demandeurs d’asile sur les anciennes terres du roi de Prusse…

copyright elisabeth cadot

3 réflexions au sujet de « Réfugié, un mot qui réveille des souvenirs »

  1. et n’oublions pas les réfugiés hongrois en 1956 après l’écrasement de la révolte contre l’occupant soviètique: en Autriche, en Suisse et en Allemagne. Personne à l’époque n’aurait eu l’idée saugrenue de refuser d’aider ces personnes dans le besoin en pretextant un « problème hongrois ».

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    • Vous avez tout à fait raison. Les réfugiés hongrois du soulèvement de 1956 sont d’ailleurs passés par le camp de Friedland, que l’on a appelé « la porte de la liberté », comme le montre cette documentation de la ZDF
      Les pays de l’Europe de l’est ont des craintes par rapport à des réfugiés qui ne sont pas chrétiens mais musulmans. C’est cela sans doute la différence.

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      • Drôles de responsables chrétiens que ces dirigeants d’Europe de l’Est qui, comme le Premier ministre de Slovaquie, se déclarent prêts à accueillir quelques centaines de réfugiés. A condition, bien sûr, qu’ils soient tous chrétiens. Est-ce que l’Egypte des Ptolémée a demandé à la Sainte Famille, avec l’Enfant Jésus,
        d’abjurer le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, avant de leur accorder l’hospitalité ? L’amour du prochain, que préconise l’Evangile, ne pose aucune condition confessionnelle, que je sache !

        Gaétan Sebudandi

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